Vautré dans le lit de la rivière sous ma Ténéré, j’envoie immédiatement un selfie hilare à ma fille. Réaction ? « Mais papa, t’as plus 18 ans ! ». Eh ben si, justement. Retour jouissif aux sources motardes à l’occasion des Trail Adventure Days. Forever young !
On a beau être de vieux débris, on s’est tout de même pris au jeu des réseaux sociaux. N’importe quel prétexte est bon pour envoyer des photos dans la nature, par WhatsApp, Facebook, Insta et que sais-je encore. Inconvénient ? Comme nous sommes assez pathétiques passé un certain âge (lequel, au fait ?), on s’expose à des commentaires plus ou moins vachards.
Tiens, si par bonheur ta compagne est un peu psy sur les bords, tu prends des risques. La mienne est restée assez soft à la réception de la première vidéo de votre serviteur et son pote lors des TAD24. Devant un passage terreux peu catholique (ni halal, ni cacher d’ailleurs), nous annonçons notre fin de vie imminente. « C’est ça votre sortie ? Je vois… Un peu régressif, nan ? » Comme je la connais, je comprends qu’elle me soupçonne d’un retour inconscient en enfance (sauter dans les flaques, se barbouiller de terre et toussa (si, avec deux s, comme sur les réseaux)), d’avoir mal digéré ma phase anale (t’as qu’à googler, tu comprendras, rapport à Sigmund), voire de vouloir démontrer à (feu) ma maman que je suis un vrai bonhomme.
Là où elle n’a pas tort : j’avais monté des pneus TT un peu sérieux, histoire de, en effet, ne pas passer pour une tarlouze au premier passage délicat. Note au secrétaire de rédaction : ne pas corriger « ne pas passer pour une tarlouze » ; il s’agit là d’une vénérable expression issue de la culture moto, la vraie, et nullement d’une attaque malveillante contre la communauté LGBTRGSOPMJ, comme me l’aurait immédiatement reproché ma belle-fille si j’avais osé l’employer sur les réseaux. Bref, j’ai fait monter des Michelin Anakee Wild sur ma magnifique Ténéré Rallye Edition qui, jusque-là, n’avait jamais rien vu d’autre que le pavé parisien et quelques raccords de bitume approximatifs en banlieue.
M alheureusement, Wild ou pas, sans la technique adéquate, l’activité enduro en environnement naturel et humide nécessite un certain savoir technique que mon compagnon de fortune n’a pas, et moi non plus. Nous sommes pourtant persuadés du contraire, évidemment. OK, il eut été possible de choisir des traces (balades préparées par l’excellent organisateur et chargées sur notre GPS) vertes ou bleues, sages et faciles. Mais nous étions venus le couteau entre les dents et la tête pleine de souvenirs de nos exploits moto de jeunesse (au siècle dernier) pour en mettre plein la vue aux milliers à notre petite douzaine de likeurs. Alors va pour les rouges (pas les noirs, nous ne sommes pas stupides non plus), suffisamment photogéniques et largement faisables à condition d’être équipé de pneus à crampons. Enfin, c’est ce qui est marqué dans le programme qui a été imprimé sur foi d’une météo estivale sans pluie…
Au premier passage hors-route un peu champêtre – selfie ! – pour le groupe WhatsApp familial. Grand mal m’en a pris, je me fais lyncher direct. « Pollueur ! », « Vandale ! » et autres « Tu saccages la planète que nous t’avons prêtée ! » s’enchaînent en pop-up sur le GPS (connecté au téléphone). M’en fous, ils sont jaloux ! Car je vis là un de mes meilleurs coups de moto en 45 ans. Pas moins de sept heures en selle sur deux jours, sur asphalte et terre, bitume et boue, sable et cailloux. Ah oui, et dans l’eau aussi. Je croise les skis (perds l’avant, quoi) trois fois avant de comprendre que, dans le gras, il faut bien serrer la Ténéré avec les jambes et à peine toucher au guidon, sous peine d’être d’éjecté aussitôt. En attendant, je prends mon rythme : éjection-selfie-post-retour en selle… Ça ricane sévère dans les commentaires.
La Yam T7 encaisse sans broncher (les chutes, pas les commentaires), ma carcasse aussi, on se fend la gueule… et l’épaule. Mon pote en l’occurrence, qui se taule pour la première fois avec sa DR350 hyper légère mais qui a l’os plus fragile, eu égard à son âge canonique (avec sa DR, ils dépassent allègrement les 100 ans au cumul !). Pas de selfie cette fois-ci, un peu de respect, mais un retour douloureux au camp de base par la route, ça suffit comme ça. Comme dit Terminator : « Je reviendrai ! ». Parce que tant que l’on pourra faire ce genre de conneries, on aura toujours 18 ans, na !
Klaus MARTIN
J’adore Klaus ! il faudrait nous écrire des billets comme celui là à chaque sortie !-)