« En faire baver à ceux qui partent et faire rêver ceux qui restent », telle était la devise du Paris-Dakar de Thierry Sabine, disparu le 14 janvier 1986. Deux ans plus tard, à l’occasion de la sortie de l’Africa Twin, Honda France propose à 50 de « ceux qui restent habituellement » de partir eux aussi au Dakar 1989. Retour sur un contre-pied commercial lancé… au pied levé !
En 1988, Hervé Guio, le patron de Honda France, a déjà baptisé l’arrivante XRV 650 RD 03 du génial nom commercial Africa Twin (il récidivera avec les noms de baptême des Transalp et Dominator). François Charliat est alors responsable Publicité et Promotion du réseau. Aussi porteur d’eau à ses heures perdues chaque début janvier des pilotes de pointe officiels HRC, excusez du peu. Après son Dakar 1988 qu’il ne terminera pas, sa NXR partie en fumée à cause d’une fuite du réservoir, Charliat se voit proposer une place de leader au sein de l’équipe Honda pour l’année suivante. « J’ai refusé. Je ne me sentais pas légitime. Rouler à 90 % longtemps, je savais faire, mais aller au-delà comme ceux qui jouaient devant, je n’en étais pas capable. J’ai préféré arrêter. »
Besogneux contre seigneurs
Il est donc disponible en janvier 1989, une aubaine pour Hervé Guio qui va rapidement lui trouver une mission de substitution. Ce ne sera plus les Neveu et Lalay qu’il sera chargé d’escorter jusqu’à la victoire à Dakar, mais 50 privés ! À la sortie de l’Africa Twin, qui était quand même un tréteau, Hervé Guio, un soir de beuverie ou je ne sais plus à quelle occasion, lance devant un parterre de journalistes : “Ça, c’est la moto du Dakar, c’est Charliat qui l’a mise au point avec les Japonais, c’est la moto du privé, hein François ? Et on va faire une grande opération 50 Africa Twin à Dakar”. Après cette annonce, il m’a dit : “Bon, ben François, faut vous démerder. Combien il vous faut ? Qu’est-ce qu’il vous faut pour la moto ?” »
Autre époque, autres mœurs ! Charliat n’en est pas à sa première patate chaude. Il a déjà dû improviser un Challenge Supermotard « à la suite d’une erreur de commande sur le volume des 500 CR », la plus grosse cylindrée 2T motocross de l’époque, pas la plus facile à fourguer ! Le voilà bombardé responsable d’une aventure qui prendra officiellement le nom d’Objectif Dakar. « C’est un programme qui dépendait du R&D. Il y a toujours eu une compétition entre les départements Recherche et Développement et le HRC, c’était un peu les besogneux contre les seigneurs, attaque Charliat qui se souvient des préparatifs et du cahier des charges qu’il établit lui-même.
Les Japonais sont venus nous voir à Paris et nous ont demandé ce qu’il fallait faire sur la moto.
On était en catégorie Marathon. Donc il fallait changer un minimum de choses. J’ai quand même fait modifier les cartouches dans les fourches, l’amortisseur était préparé en interne. Ce que personne n’allait venir contrôler. Et le réservoir d’essence doublait presque en capacité. La moto, on ne pouvait pas l’alléger (270 kg en version Marathon). Elle était ce qu’elle était.
On avait aussi renforcé le sabot. Et intégré la réserve d’eau. Je vais l’essayer à deux reprises au Japon, puis deux mois avant le Dakar, les 50 motos arrivent à Paris ». Il s’agit d’une série spéciale, dont les numéros de série moteur et châssis commencent par 5. Sur le parking de Honda France, c’est le branle-bas de combat. Des tentes militaires sont montées et accueillent ces 50 protos. Les pièces en provenance du Japon, le matériel d’assistance, tout ça gardienné jour et nuit.
« Il a aussi fallu que je trouve les véhicules d’assistance, continue notre coordinateur de génie. On avait trois camions, deux 4×4 Unimog plus un 6×6 Kamaz loués en Suisse. J’avais organisé un concours de mécaniciens dans le réseau. Ils étaient dix dans un avion de l’organisation, plus un dans chaque camion. Autant de chauffeurs et aussi trois magasiniers. Au total, 21 personnes avec mon adjoint et moi-même pour encadrer l’opération ! »
All Inclusive
Pour 81 500 francs de l’époque, Honda fournit aux candidats un pack complet moto et assistance avec dix mécanos. « Je m’étais dit que les mecs qui partaient au Dakar oubliaient souvent plein de choses. Ils essayaient de se faire une belle moto, mais n’avaient bien souvent pas l’outillage pour réparer une crevaison, pas de béquille pour travailler le soir, pas la bonne veste où tu peux mettre tes cartes. Avec mes six ou sept années d’expérience, j’ai fait en sorte qu’ils aient un kit prêt-à-courir.
Même si la moto n’était pas un avion, elle marchait bien. Mais il fallait l’emmener, elle n’était pas conçue pour les débutants alors que les deux tiers l’étaient. On leur avait fait des cours de lecture de road-book. C’était l’époque des premiers dérouleurs. J’avais même quelqu’un qui leur préparait les rouleaux avant le départ. Les mecs ne s’occupaient de rien ! » Un budget pièces de 15 000 francs fait partie du package, chaque pièce consommée est alors défalquée, au prix concessionnaire, SVP !
Pour plus d’informations retrouvez cet article complet dans le magazine Trail Adventure n°24