Le boss de Maurice Garage ne s’appelle pas vraiment Maurice, mais qu’importe ! Ce qui compte, c’est qu’il aime passionnément ce qu’il fait : redonner jeunesse et vie aux trails des années 90 avec un net penchant pour la Yamaha Ténéré. A force d’apprentissage, de persévérance et de travail, il en est devenu un spécialiste reconnu, mais l’histoire n’a pas été simple.
Tout commence à 7 ans, aux commandes d’un Yamaha Peewee offert par son grand-père. L’idée n’était pas de le pousser à aimer la moto, mais de lui montrer que ça pouvait être cool. Tout a pourtant failli s’arrêter à 14 ans, aux commandes d’une KTM SX 85.
Maurice témoigne : « Mon père me laissait rouler dans un champ en Normandie. J’ai une peur assez prononcée des chevaux et ce jour- là, deux percherons décident de me courser. Je mets gaz et en me retournant pour voir s’ils me collent toujours aux basques, je m’écrase dans un fossé. Je me casse net les deux scaphoïdes (un petit os qui fait la jonction entre le pouce et le poignet). Pendant 3 mois et demi, je dois supporter un plâtre sur chaque bras, qui m’immobilise du bout des doigts jusqu’à l’épaule, ce qui m’interdit de m’habiller, de manger ou d’aller pisser tout seul… » Un sacré coup d’arrêt pour la libido ! De nouveau en pleine possession de tous ses membres, Maurice fait son apprentissage des deux-roues sur le bitume, avec le Solex de son père pour aller au collège, puis sur un scooter qu’il pliera en deux dans un accident.
Des paillettes pour 100 balles
« Lorsque j’ai demandé de l’argent de poche à mes parents, mon père m’a donné 100 balles et m’a dit qu’il allait plutôt m’apprendre à bricoler. J’ai trouvé une Zundapp KS50 de 1978 dans une décharge d’ouvriers polonais, avec réservoir rose à paillettes et un gros carbu de 19. C’était une sacré machine. J’ai fait le pot avec un bout de gouttière. Elle a mis du temps à bien tourner, mais une fois tous les problèmes réglés, c’était une bombe atomique. » Habitué à entretenir et à régler ses motos de compétition, son crossman de père vient régulièrement à la rescousse et lui enseigne les bases de la mécanique. « Aussi loin que je peux me souvenir, j’ai toujours baigné dans les motos avec mon père. C’est quelque chose qu’on a toujours partagé et qu’on partage encore. C’est lui qui m’a donné les clés pour comprendre la mécanique et l’apprécier.» Dès le début de son apprentissage, Maurice développe une relation quasi mystique avec la mécanique. « Je trouve ça vraiment méditatif de se lancer dans une journée de réparation. Cela a le don d’occuper toute mon énergie cérébrale, même dans mon sommeil. Je me réveille d’ailleurs fréquemment en ayant trouvé des solutions aux pannes à l’atelier. Ce qui m’impressionne le plus, c’est le passage d’un sentiment de haine profonde quand on rencontre des problèmes incompréhensibles à une véritable légèreté de l’âme une fois qu’ils sont solutionnés. »
La grande réinitialisation
Le meilleur exemple est la Jawa 350 des années 60 avec laquelle Maurice roule toujours. « On l’a découverte sous une bâche lors de l’achat d’un lot de BMW. Le vendeur voulait la jeter à la ferraille, alors on l’a récupérée. Elle était complète, couverte de poussière, accompagnée d’un petit calepin. Son ancien propriétaire y notait minutieusement toutes ses interventions et ses tentatives pour la remettre en route. Et sur les dernières pages noircies de notes et d’empreintes digitales, il avouait son échec, son abandon face à un problème insoluble. Il n’en fallait pas plus pour nous motiver, pour relever le défi et remettre en route cette mécanique récalcitrante. »
Mais avant qu’il fasse de cette passion un métier, ce qui semblait être une évidence, Maurice se cherche un peu. « Diplômé d’une école de commerce, j’ai bossé dans la grande distribution à Besançon. J’ai tenu cinq mois avant de craquer dans un univers qui n’était pas le mien. Dans la même semaine, je démissionne, je romps avec ma copine et je me prends un énorme carton en Yamaha XJR1300. » C’est un signe, comme une remise à zéro de son compteur journalier. Avec l’accord de ses parents, il investit un local au fond du jardin familial, qu’il aménage : un pont, des outils et la place pour deux motos. « C’était un box impossible à chauffer. L’hiver, j’avais l’impression de travailler dans un congélateur, à manipuler du métal glacial et de la petite visserie, les doigts engourdis par le froid. Mais j’étais heureux, je me sentais à ma place. »
Diplôme de bon voisinage
Maurice trouve des clients réguliers pour rénover leurs vieilles machines, compensant son absence de formation en mécanique par la pratique et les conseils de son père ou d’autres généreux experts. « J’ai disposé de l’expérience de beaucoup de sachants autour de moi, des mécanos à la retraite toujours prêts à m’enseigner les choses techniques, comme la soudure. » Cela devient du sérieux et pour se mettre à son compte, il lui faut passer un diplôme reconnu. Ce sera un CAP Maintenance de véhicules, option moto qu’il obtiendra haut la main, en candidat libre. Il se met à la recherche d’un local plus grand, ce qui paraît mission impossible si proche de Paris, du fait de la densité de population et des potentiels problèmes de voisinage.« J’avais trouvé le spot idéal, un sous-sol d’immeuble, mais la propriétaire assez âgée ne voulait pas entendre parler de garage moto. Elle a finalement accepté, et depuis trois ans et demi que j’y travaille, tout se passe bien, surtout avec les voisins directs qui n’hésitent pas à me solliciter pour résoudre leurs problèmes techniques. » Au prix de quelques coups de mains diplomatiques, le jeune homme peut s’adonner pleinement à sa passion de la mécanique et de la rénovation. « Mon activité est axée à 80 % sur le trail, mais il m’arrive de travailler sur d’autres machines, quand je tombe sur des perles lors de mes recherches, comme des BMW Série 5, R80GS et R60/2 ou des Honda NSR400. »
La sagesse de la spécialisation
Au début, par enthousiasme, Maurice s’investit dans une trop grande variété de projets, en rénovations ou customisation. Il comprend vite que cette dispersion chronophage n’est financièrement pas viable sur le long terme. Et pour la pérennité, de son projet il décide de s’orienter vers un modèle qu’il affectionne particulièrement : la Yamaha Ténéré. « Cette spécialisation facilite grandement les investissements pour acheter des machines et gérer un bon stock de pièces dont j’aurai toujours besoin. Le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux ont fait le reste et mon activité, unique sur la capitale, m’a apporté une clientèle branchée trail des années 90. Ce sont des trentenaires ou des quadras, pour la majorité des connaisseurs et ils savent ce qu’ils veulent. Il y a aussi de plus en plus de femmes qui se tournent vers le vintage et je trouve cela très sympa. Choisir une machine ancienne pour rouler au quotidien doit être un acte réfléchi, une philosophie assumée, car elle nécessite plus de soin et de suivi à l’usage qu’une moto récente. » Maurice a un truc infaillible pour vérifier la cohérence du couple client/machine : « Pour être sûr de ne pas se tromper, il faut répondre, au minimum, à deux des trois critères du triangle d’or : connaissances, temps et argent. Si tu n’as pas de pécule, avoir du temps et savoir bricoler devient alors indispensable. Au-delà de ces critères, la nostalgie peut aussi jouer des tours car le souvenir dépasse souvent la réalité, embelli et idéalisé par une mémoire romanesque et le retour sur terre peut s’avérer décevant pour un habitué des monstres d’efficacité actuels. » Lui se tourne résolument vers l’avenir.
« J’ai la chance de bosser avec Natthan, un apprenti exceptionnel qui était à un cheveu d’être élu meilleur apprenti de France. A 19ans, il cumule une excellente connaissance de la mécanique et le flair qui va avec. Je fais tout mon possible pour lui offrir de bonnes opportunités, pour lui donner envie de rester avec moi. Dans un futur proche, je souhaite ainsi développer une activité de formation mécanique pour des clients qui désirent remonter et entretenir leurs motos sous notre supervision, une initiative qui peut renforcer la passion qui lie ces pilotes à leur machine. » De son côté, pour conserver le lien indéfectible qui le lie à son père, Maurice a trouvé une idée tout aussi extra : acquérir deux licences pour rouler ensemble en motocross. Il faut savoir fermer l’atelier, charger les motos et partir pour profiter.